RSE, marché de dupes ?
Publié le 21-12-2015
Quand les apparences sont trompeuses
Vérité et mensonge
Le Rapport qui ne dit pas tout
Depuis le coup de tonnerre de l’affaire Volkswagen, qui a distillé au fil des jours l’ampleur d’une déroute éthique et managériale, un sentiment diffus me taraudait, difficile à cerner. En parcourant le rapport Corporate Social Responsability de Volkswagen - 155 pages d’un document impeccable sur le fond et la forme, convaincant, truffé d’indicateurs, d’objectifs, de courbes, de plans d’actions, j’ai compris ce sentiment étrange, d’écœurement et de colère mêlés.
A la lecture du rapport et sans équivoque, l’engagement sociétal de Volkswagen passé aux rayons X laisse admiratif par son ambition, son ampleur, la diversité de son périmètre, la mobilisation interne qu’on imagine aisément pour produire de tels résultats.
Et pourtant, ce double bon élève -de l’excellence produit et de la responsabilité sociale et sociétale- vient de démontrer que la vitrine, clinquante et attirante, se fissure pour donner à voir la vraie vie au sein de l’entreprise. Elle révèle des dysfonctionnements graves, qui pèsent sur toutes les parties prenantes, internes et externes.
Un cas isolé ou une maladie répandue dans d’autres entreprises, et dont on ne mesure pas encore les ravages ?
Angle mort
Les actions sociales et sociétales menées par des entreprises engagées et convaincues, sont sans aucun doute porteuses de réelles avancées. Mais les enjeux de « la compliance » et la pression des normes ISO, GRI ou autres, avec leur millier de cases à cocher, mettent exclusivement le projecteur sur « le quoi visible » et ses indicateurs. En laissant dans l’ombre, voire en dissimulant la manière dont ces actions sont menées, on prend le risque de fausser l’image et plus grave encore, de tromper tous ensemble les clients, les actionnaires, les salariés eux-mêmes.
L’entreprise serait-elle devenue une machine à produire de l’affichage pour les cotations, les notes, les labels, et aussi pour l’attractivité des talents ? Le plus souvent au profit de l’extérieur (actionnaires, analystes financiers, futures recrues, clients), elle déroule une approche mécaniste, implacable, dans laquelle s’engloutit l’énergie des équipes, submergées de process et de reporting aussi artificiels que contraignants, et dont la structure se garde bien d’évaluer les coûts cachés.
Ce faisant, dans le tourbillon déclaratif du respect des normes, on ne traite pas des vrais sujets, les ressorts du fonctionnement profond et intrinsèque des organisations, et des rapports qui s’y jouent. On rend compte d’une forme de gouvernance théorique, mais pas de celle qui s’incarne dans les comportements, individuels et collectifs. La radiographie de l’entreprise, au travers de son rapport extra-financier, ne traduit pas ce qui donne vie, irrigue les organes, apporte du bien-être et de l’énergie ou bien fait des dégâts considérables sur les équipes.
Destruction de valeur(s)
La dérive de Volkswagen révèle un management par la terreur, la pression, la dissimulation, générateur de silence et de peur. Les salariés ne sont pas dupes : ils savent le mensonge, le décalage entre leur quotidien et le « paraître » projeté dans les exercices factices de communication. Pour eux, c’est une double peine, on les malmène, on leur impose le mensonge et le silence à l’intérieur, et ils participent impuissants à ce mensonge à l’extérieur, dans l’affichage fallacieux du rapport vertueux de responsabilité sociale. On provoque un sentiment de culpabilité et un complexe d’imposture. Ce système crée indéniablement de la violence, par un déni de parole et de vérité.
On n’a jamais autant parlé de création de valeur, et de partage de la valeur. Mais de quelle valeur parle-t-on ? Ou plutôt de quelles valeurs ? Car si dans l’ombre d’une dynamique de création de valeur sociétale se déroule impunément au sein de l’entreprise la destruction de valeur humaine, on perd sur tous les plans. Et si la création de valeur bafoue toutes les valeurs clés qui fondent le vivre et travailler ensemble, et la confiance des parties prenantes, on sape des années de tentatives de progrès vers une économie plus humaine, respectueuse, inclusive et durable.
Les organisations justes et saines sont en réalité celles où l’on aborde les sujets qui fâchent : les effets humains du management, le niveau de cohérence des comportements individuels et collectifs avec les valeurs affichées (ce que dit la marque, comment on traite réellement le client et les salariés). Autrement dit, celles où on passe au crible les valeurs intrinsèques sur lesquelles repose la dynamique du corps social.
Et vous ?
Comment votre entreprise a-t-elle réagi à l’annonce de la « sortie de route » de Volkswagen ? Par le déni ou l’indifférence ? Ou par une question exceptionnelle à l’ordre du jour de votre Comex, dont l’ordre du jour aura été : que cache notre politique RSE ?
Dans un monde où la finance et les réseaux sociaux ne vous lâchent pas des yeux, avez-vous su transformer en profondeur votre gouvernance et vos modes de management, sans faux-semblants ?
L’actualité vient de nous montrer que la course aux trophées de la meilleure entreprise sociale ou environnementale laisse planer le risque d’instaurer des modes de fonctionnement délétère, et d’en dissimuler la réalité aux yeux du monde.
Nathalie Dupuis-Hepner